Il faut souffrir pour vivre... ou histoire de backpacking

En février dernier, j’étais prête pour un through-hike, soit une randonnée de longue distance.  J’avais l’équipement, je suis en bonne forme physique, par contre, la dureté du mental n’y était pas. 

J’ai déjà fait du back-packing il y a plus de 10 ans déjà et à l’époque, c’était l’autre qui « m’organisait », c’est-à-dire, qui planifiait la randonnée, les distances à faire, qui organisait le stock et qui prenait le lead de la randonnée.  Partir seule dans le bois (rectification, partir seule avec un gros chien) pour quelques jours, c’était une première pour moi et je me suis bottée le derrière le weekend dernier. 

En fait, je dis « botter le derrière », mais c’est plus « botter le mental » que je devrais écrire.  La tête était loin d’être convaincue que j’y arriverais…





Connaître ses « blinds spots »
Quand je travaillais pour la grosse boîte informatique au nom à 3 lettres (!), j’avais assisté à un pitch d’une conférencière qui nous invitait à découvrir nos « blinds spots », traduction littérale de « angles morts » et en fait, l’idée est que ce qui nous nuit dans la vie, tant au niveau personnel que professionnel, ce sont ces aspects de notre personnalité qui nous sont inconnus, mais qui sont connus des gens qui nous côtoient.  En d’autres termes, nous sommes bien mauvais juges de nos forces et faiblesses.
J’ai voulu en savoir plus sur mes angles morts ou schémas et j’en ai découvert beaucoup…  Ça ne parait pas à lire les perles de sagesse de ce blog (!!) mais j’ai des faiblesses importantes. 
Pour n’en nommer que 2, je souffre du syndrome « d’exigences élevées » et « assujettissement ».  Dans un premier cas, mes aspirations personnelles sont démesurément élevées ; si je ne réussis pas, c’est un échec.  Dans le second cas, j’ai un important désir de plaire alors je sacrifie mes propres besoins pour plaire aux autres.  Combinés, les 2 schémas font un cocktail explosif et donnent pas mal de frustration refoulée, frustration qui s’efface en quelque sorte quand je suis dans la nature.


L’exigence
Je me suis donc donnée comme défi de compléter pour mon chien (!!!) la liste des 4000 sommets du New Hampshire (à raison de 48) d’ici Noël.  Ce n’est pas rationnel, ça ne donne rien dans la vie.  Jones aura une médaille canine de l’AMC 4000 footers club, mais entre ça et un biscuit maison bœuf-beurre d’arachides, il vous dira qu’il aime mieux le biscuit.  Alors pourquoi je me lance un tel défi?  C’est pas rationnel, c’est totalement insensé, mais je suis mal faite de même. 
Ceci dit, il était rendu à 43 sommets quand je me suis dit jeudi dernier, tiens, pourquoi ne pas faire les Bonds en fin de semaine ; 3 sommets, soit Bond, West Bond et Bondcliff, réalisables en une très longue journée, ou sur 2 jours pour étaler le plaisir.  La météo est après tout anormalement douce pour ce mois-ci d’octobre, les couleurs sont encore magnifiques dans les arbres et point de vue sécurité, s’il m’arrive malheur, je me suis dit que sans doute d’autres randonneurs auraient la même idée que moi.
J’ai analysé les options possibles et pour faire court, j’ai choisi de faire un trajet aller-retour entre Lincoln (départ du Lincoln Woods visitor center) et le site de camping Guyot à mi-chemin, sur 2 jours pour un total de 38km de randonnée.


Parenthèse : j’ai croisé 2 hommes qui descendaient de Bondcliff le premier jour ; ils ressemblaient aux 2 antagonistes du film « A walk in the woods », soit Robert Redford et Nick Nolte.  Quand je leur ai dit que c’était le premier weekend de backpack du chien, disons qu’ils se sont un peu foutu de ma gueule du choix de la randonnée…  Comme première fois, j’aurais pu prendre plus facile.  Et l’argument de « oui mais, il lui reste les 3 Bonds à faire » n’a pas semblé me faire paraître plus brillante à leurs yeux. 



Le maudit gros sac à dos
J’avais, il faut le dire, un maudit gros sac à dos.  Le sac, d’une capacité de 60 litres, contenait 20kg de stock (45 livres).  C’est beaucoup de stock me direz-vous, mais j’avais peur de devoir passer une nuit extra dans le bois, alors j’avais des vivres, des vêtements pour rester 3 jours en cas de pépins.  Sans compter que la grande difficulté est qu’il fallait que je traîne du stock pour 2 (soit le chien et moi).   
Dans mon souvenir, partir pour 2 jours, à 2, c’était simple ; beaucoup de choses sont réparties entre les 2 porteurs : 1 tente, 1 réchaud, 1 canif, 1 trousse de premiers soins, etc.  Là, j’ai dû tout amener moi-même, tout prévoir et toujours prévoir pour le pire.  On dit : planifier pour la randonnée que vous ne voulez pas vivre, et non pour celle que vous prévoyez faire.  Autrement dit, anticiper les blessures, la fatigue, les intempéries et n’importe quel événement qui pourrait nous arriver ou arriver aux autres.  En l’occurrence, prévoir le pire pour moi et pour le chien.
Je peux dire que j’ai utilisé chaque item dans le sac à dos, et que malgré le surpoids, j’étais rassurée d’avoir amené trop de nourriture et trop de vêtements.
Au niveau équipement, quelques mentions spéciales :
  • Le filtre à eau Katahdin – super efficace et utile car les sources disponibles au long du parcours et au site de campement étaient de qualité douteuse.  On dit qu’il vaut mieux boire de l’eau et être malade que de mourir de déshydratation, mais j’aime quand même mieux ne pas être malade… 
  • Le réchaud MSR et la « popotte » GSI – léger, efficace – rien à redire, léger et se nettoie super bien en montagne (c’est-à-dire, quand on n’a peu de moyens).

  • La tente Hubba de MSR – facile à monter, légère, grosse pour 1 personne, parfaite avec le chien à mes côtés.  Si c’était à refaire cependant, en été, quand la température est plus douce la nuit, j’opterais pour un hamac ou quelque chose de plus minimaliste.  Cependant, je me félicitais encore de cet achat effectué des années plus tôt.
  • Le sac contenant tout le stock, Gregory Deva 60L, mérite vraiment les reconnaissances de meilleur sac de randonnée qu’il reçoit années après années par la revue Backpacker.




La randonnée
Ceci étant dit, parlons de la randonnée comme telle.
La veille, j’étais tellement anxieuse à l’idée de ne pas y arriver que dans mon lit, je me disais : « arrête ça, n’y va pas ; personne ne t’y oblige ».  Je me suis endormie mi-figue, mi-raisin pas sûre que j’allais le faire après tout (et pourtant, j’étais prête).
Je me suis réveillée avant mon cadran (qui était mis pour 5AM) et j’ai pris une douche pour me secouer les puces. 
Incapable de manger, j’ai pris la route sachant que je passerais devant le fameux arrêt de prédilection de délices, le White Mountain’s bagels à Lincoln où j’ai pris un sandwich déjeuner, un café et décidé d’ajouter un wrap au jambon à mon sac à dos déjà rempli de vivres.
Après avoir mangé, avoir payé les droits de stationnement du Lincoln Woods visitor’s center, fait les derniers ajustements à mon sac et à celui de Jones, on part à 8h20.
J’ai une application sur le téléphone qui compte les kilomètres que je parcours.  À chaque km, une voix féminine robotisée me dit la distance et combien de temps ça m’a pris pour faire ce km. 

J’avais des repères sur le chemin, j’avais estimé que les 4.7 premiers miles (7.5km) seraient aisés car sur terrain plat et que la vraie montée était à la jonction de Wilderness trail et Bondcliff trail.

Sitôt partie, je me rends compte que ma tactique pour le sac du chien est un échec alors après plusieurs minutes d’ajustements, je vide son sac, je mets sur mon dos et on repart.  Il aura 4 tasses de nourriture et 2L d’eau à transporter ; moi, tout le reste.
Dire que j’ai eu mal ne serait pas rendre justice (!!!!) à la douleur lancinante qui m’a suivi tout au long de la journée.  Le sac frottait et m’a brûlé le bas du dos.  Tout le long, j’ai voulu retourner de bord ; tout le long, j’ai pensé écourté la randonnée.  J’aurais pu planter la tente n’importe où en chemin, me disais-je, mais dans la Pemigewasset wilderness, c’est techniquement interdit de camper hors des sites désignés.  Je me suis convaincue moi-même de poursuivre pour me prouver que j’étais capable de faire du backpacking avec tout mon stock.  Je n’avais jamais fait ça.  Je ne l’avais jamais fait même jadis, à 2, alors qu’on faisait 4-5 miles, qu’on plantait la tente et atteignait les sommets avec des sacs légers…  
Après mes premiers 4km, j’ai compris que si je voulais y arriver, je devais changer de rythme ; ne pas marcher aussi vite que lors de randonnées légères et faire des arrêts fréquents.  À chaque 2km ou chaque heure selon lequel arrivait en premier, je déposais le sac au sol, mangeais un truc et repartais.

Jones, fidèle à lui-même, toujours heureux d’être content, ne semblait pas se préoccuper de moi plus qu’il faut.  Le seul moment où j’ai senti sa détresse, c’est lors de l’ascension de Bondcliff, en arrivant à un pitch particulièrement difficile, que j’ai pris un arrêt.  Des gens nous ont aidé en prenant une pause pour diminuer la tension de Jones.  Je lui ai retiré son sac à dos, qui a été monté par un jeune rencontré à cet endroit.  Il a été gentil d’attendre en haut du cliff en encourageant le chien.  De mon côté, j’étais en bas et je le soutenais dans la montée.  2 autres jeunes sont arrivés pour nous dépasser, mais l’un d’eux a dit à son compagnon d’attendre car Jones avait déjà suffisamment de stress.  Le tout s’est passé somme toute assez vite, quelques minutes au plus, mais ça a été un moment fort pour moi et mon partenaire canin.

Le vent était fort sur le cliff, comme c’est souvent le cas à l’automne.  La vue : spectaculaire sous un ciel plus bleu que nature.



J’ai peu profité, en raison du vent, mais aussi sachant que je repasserais par le même chemin le lendemain.  On a donc poursuivi vers Guyot avec vitesse, s’arrêtant très brièvement au sommet de Bond pour être sûre d’avoir une plateforme accessible pour planter ma tente.  Ce fut le cas et après avoir monté le camp, nous avons fait sans sac l’ascension de West Bond où j’ai enfin pris la photo qui montre la splendeur du cliff traversé plus tôt.  Les 3 sommets ont été faits, le défi, accompli ; enfin presque car il restait la nuit dans le bois à passer et le retour. 
Au campement, ça a été très bref.  J’ai salué mes compagnons de plateforme (on pouvait y placer 2 tentes) et écouté quelques histoires de rando, j’ai fait mon souper composé de bœuf et pâtes déshydratés et au coucher du soleil, je tombais de fatigue. 
La nuit a été difficile, dure dans le sens de dur par rapport au dos qui sentait bien le bois de la plateforme malgré le mince coussin sur lequel je dormais et dure car j’avais mal.  J’ai fait de drôles de rêves, dont celui que je me réveillais à 5h50 ; et c’est à cette heure que je me suis réveillée pour vrai.
Il faisait nuit noire et ça ronflait abondamment autour de moi, mais je voulais me mettre en mouvement le plus tôt possible ; j’ai donc déjeuné et je suis partie à 7h43 (je suis précise, c’est mon téléphone qui a gardé l’information en tête). 


Le sac faisait encore mal, mais je savais maintenant que le pire était derrière.  Je connaissais le parcours, j’anticipais l’effort et je contrôlais ma cadence.   Au sommet de Bond, un premier arrêt photo, repos, barre.  La vue du cliff du sommet de Bond est une de mes préférées.  

Ensuite, arrêt à Bondcliff.  Personne au sommet, contrairement à la veille.  Pas un son, si ce n’est ma respiration saccadée par l’effort.  Aucun vent.  Juste la vue, la nature à en perdre le sens de la réalité de nos vies urbaines ; la quiétude, les oiseaux, les rayons de soleil perçant les nuages, l’odeur des feuilles mortes, de la mousse.  J’étais dans ma tête, absorbée par le vide et c’est un garçon passant à vive allure près de moi, me saluant avant de poursuivre sa marche, qui m’a fait reprendre mouvement.  Je serais bien restée sur le cliff comme ça et j’y suis restée longtemps d’ailleurs.


J’ai poursuivi, refait la descente de la paroi difficile de la veille (et là, Jones n’a pas eu besoin d’aide, il se rappelait la paroi).  Le reste, et bien, c’était simple.  Un pied devant l’autre ; les km qui s’accumulent au compteur.  Le décompte de ce qu’il reste à faire.  La mémoire dans mes pieds connaissait les obstacles et savait ce qu’il me fallait faire.  Pendant 12 km, le pilote automatique fonctionnait et ça a pris moins de 4h faire les 12km restants car ma tête était demeurée sur le cliff.  Bondcliff, le défi, le challenge.  Pourquoi encore j’aime ça souffrir de même ?  Mon schéma d’exigences élevées encore ?  Nah.  C’est tellement plus que ça.


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