Ce moment d’attente est bien involontaire de notre part


À défaut de voyager ou même de me déplacer, au moins, je survis toujours.


Je sais pas si c’était pour me punir d’avoir eu un premier 6 mois de grossesse sans encombre.  Ou pour scrapper un 3e été en ligne après 2 interventions chirurgicales à la mâchoire en 2017 et 2018, donc jamais 2 sans 3…

Toujours est-il que c’est arrivé inopinément.

Il y avait possiblement des signes avant-coureurs, mais avec mon optimisme légendaire, je ne prêtais pas trop attention aux signes.
  • Des étourdissements? Une simple baisse de pression suite à une séance de trottinette.  J’allais ralentir le rythme des séances de sport.
  • Les jambes lourdes? J’avais lu que c’était normal, voire commun à toutes les femmes enceintes.
  • Des douleurs à l’aine gauche? Mauvais étirement.
  • Des crampes nocturnes? Carence en potassium ou hydratation insuffisante.



À chaque symptôme, une explication rationnelle, car après tout, des millions de femmes accouchent chaque année, des milliards ont passé par là et rien d’exceptionnel sinon des hormones qui bousillent nos repères et une grande joie à l’idée qu’une vie se forme.  Je l’appelle mon petit parasite.  C’est parce que ça siphonne tout ces petites bêtes-là : la mémoire (j’en perds des bouts, clairement), l’intelligence (plus capable de compter 2 + 4), sans compter tout ce que ça a besoin pour se développer.
J’ai donc naïvement pensé que ce qui m’arrivait était dû aux changements normaux qui opèrent.  Ah, naïveté, quand tu nous tiens.


Mais que s’est-il passé au juste, sérieux?
Je commençais normalement cette belle journée ensoleillée de juin comme à mon habitude.  Au saut du lit, j’allais nourrir les chiens, prendre mon déjeuner et ensuite, marcher mon 2 km habituel avec les tannants pour qu’ils fassent ce que les chiens font…  Ensuite, douche et départ pour le bureau.  Les jambes sont lourdes, alors je me dis qu’il me faudra bien m’hydrater et manger une banane.  Si ça marche en rando après tout, pourquoi pas maintenant.

J’arrive au bureau et nous avons une journée entière de sessions de travail successives pour un projet de transformation informatique que je pilote avec une équipe vraiment cool (et je dis pas ça pour flatter mes collègues (quoi que), mais c’est vraiment une belle équipe).  Vers 11h, je me sens pas super bien.  Je regarde mon collègue en face et je lui dis : je sais pas, mais va me falloir enlever mes chaussures ; je suis rendue là.  

Sitôt enlevées, je ne ressens pas moins de douleur, j’ai plutôt des sueurs et j’ai très chaud.  

C’est qu’il y fait chaud dans cette salle de conférence sans fenêtre où nous sommes une dizaine à cogiter sur un sujet.  Je me lève donc pour aller à la salle de bain, espérant que ce n’est que la chaleur de la salle qui m’indispose.  Je sens que ma jambe gauche est particulièrement lourde et je la sens gonflée.  Je retourne à la salle me rasseoir, mais la douleur et la sensation de brûlure dans la cuisse empire.  Je sors à nouveau et à une collègue à son bureau je demande : « Josée, toi, enceinte, tes cuisses ont-elles déjà gonflées? ».  Silence de criquets, hésitation : « non, pas vraiment ».  OK, me dis-je…  « J’appelle 811 ».  Aussitôt que nous avons une réponse de la ligne info-santé, l’infirmière sur la ligne demande à me parler et à décrire ma jambe.  « C’est gonflé, mais je porte un jean donc je ne vois pas.  Attendez, je retire mon pantalon » (Nul besoin de dire que ma collègue et moi sommes soudainement devenue très intime, et ça n’était que le début).  

C’est ainsi qu’en sous-vêtements, couchée sur le sol dans son bureau que je constate avec effroi que ma jambe est mauve, couleur tendance cette année dans la mode, mais moins pour décrire une jambe sans tatouage.

Ce que j’ignore au moment où je repasse le combiné de l’infirmière à ma collègue est que celle-ci se fera dire par l’infirmière « Amenez-la d’urgence au CHUS et si vous faites de l’anxiété, appelez l’ambulance au plus vite ».

Je claudique alors vers sa voiture, en sous-vêtements toujours, aidée par l’équipe des filles de finances (j’ai un peu de pudeur étrangement) et les gars qui en sont à leur heure de lunch croient que je perds les eaux.  Le trajet qui suit se veut une course endiablée vers l’hôpital…  J’exagère : nos bureaux sont à précisément 15 km, 16 minutes de l’hôpital et c’est un parcours qui emprunte la 410, la 10 et la 610 successivement.

Arrivées, je réussis à m’extirper du véhicule et on me met sur une chaise roulante dans une position qui n’aidera en rien ma douleur.  Je suis d’abord amenée aux urgences, mais on me stationne dans un coin et j’apprends qu’il y a 20 personnes au triage avant moi.  « Vous auriez dû la mener en ambulance, elle aurait passé plus vite » se fait dire ma collègue qui roule les yeux d’exaspération parce qu’en ambulance, on attendrait encore au bureau.
Une patiente en attente me lance : « Va direct au 5e, à l’urgence maternité, à partir de 20 semaines, pour les urgences, c’est là que tu dois te rendre. »  Je la regarde avec un regard empli de chaleur humaine et des larmes coulent pendant que Josée court (littéralement) en poussant ma chaise vers l’étage.  Elle crie aux gens de laisser passer, mais le troupeau attendant les ascenseurs nous ignorent délibérément.  L’exaspération de Josée est à son comble et si je n’avais pas si mal, je trouverais le tout plutôt drôle.  Un infirmier nous dit de passer à l’arrière pour prendre l’ascenseur réservé au personnel et nous aide dans notre course (Merci jeune homme). 

Arrivées au 5e, la prise en charge est somme toute rapide et je suis placée sur civière en un rien de temps.  Le médecin s’en vient me dit-on.  L’infirmière prend les signes vitaux et on me pose un moniteur sur le ventre pour s’assurer de la santé du bébé.  Pour elle, y’en a pas de problème.  Sans doute bercée par les mouvements de la voiture et de la chaise roulante, elle dort tranquille comme si de rien n’était. Ça fait au moins une de nous 3 qui ne panique pas. 

L’attente du médecin semble interminable, aussi, Josée fera-t-elle plusieurs quêtes au poste d’accueil pour tenter d’accélérer le processus.  Finalement, quand la docteure arrive à mon chevet, je suis immensément heureuse de reconnaître le visage de celle qui m’a vue la semaine précédente en suivi de grossesse.  Rapidement, elle voit ma jambe et s’enquiert de mon état : « Amputez-moi svp » dis-je.  Curieusement, personne ne semble près à m’amputer cependant, la douleur est intolérable et la jambe devient de plus en plus foncée.  On me questionne comme dans une série télé pour enquêter l’incident.
Est-ce que je fume? Non
Je bois? Non (pas enceinte les amis)
Je me drogue? Non
Diabète? Non
Antécédents familiaux de phlébites? De varices? De problèmes de circulation? Non
Haute pression? Non
Tu as fait quoi ce matin?  J’explique alors ma journée du levée à l’hôpital…

S’ensuivent une batterie de tests, une échographie de la jambe et des prises de sangs avant que je sois amenée dans une chambre à l’étage.  La médecine de maternité a appelé la médecine interne en renfort; on me donne de la morphine.  Mes souvenirs sont flous à partir de ce moment-là.  Une chose est sûre, avec la morphine, ça va bien dans ma tête. 
J’apprends après quelques heures d’attente que j’ai pas juste eu une phlébite, typique pour la femme enceinte, mais plutôt une thrombose fulgurante extensive.  En gros, une méga super grosse phlébite qui a dégénéré beaucoup trop vite en raison de 3 phénomènes ayant créé le cataclysme (oui, cataclysme) dans ma jambe.
  • 1-     J’ai apparemment la condition de McTurner (ou un terme semblable) qui veut dire que anatomiquement parlant, quand je suis assise, l’artère iliaque (ça c’est la super artère qui amène le sang dans toute la jambe) peut se coincer.
  • 2-     Je suis musclée (ouin) parce que je fais beaucoup de randonnée.  Les muscles de mes cuisses sont si volumineux qu’ils exercent une forte pression sur l’artère iliaque. 
  • 3-     Un utérus, ça prend de la place et ça vient exercer une pression sur tout le bas du corps.


Ajouté à cela, j’ai une super bonne circulation sanguine due au yoga et aux étirements quotidiens qui facilitent le côté extensif de mon état, soit des caillots de sang massifs de l’abdomen au pied.

On me place un cathéter et on m’administre un anticoagulant, l’Heparine, qui aidera à rendre les caillots fibreux. 

Je passerai la nuit à l’hôpital et j’y resterai pour une période indéterminée.  On me dit que si je réagis bien à l’Heparine, je pourrai marcher et passer à des traitements par seringues bi-quotidiens et retourner à la maison.  Je garde ceci en tête comme une mission de marcher et de montrer que je suis capable de me faire les injections moi-même ; on m’enverra à la maison.

C’est ainsi que le lendemain, au levée, je vais « prendre une marche ».  Apparemment, quand la médecin m’avait dit ça la veille, elle pensait plus « dans une semaine », pas genre, le lendemain alors que j’étais sous perfusion.  Mon état a comme un peu empiré de ma propre faute et c’est avec effroi que la médecin est revenue me voir en urgence et m’a solidement sermonnée. 

Je devrai donc restée alitée, inclinée pour éviter une pression à gauche et on m’informe que la grande crainte maintenant est que les caillots se libèrent de la jambe et aillent aux poumons ou au cœur.  L’embolie pulmonaire était la plus probable dans ce scénario. 
Vers 15h, l’interne vient me voir et commence à me parler d’intervention et des risques.

Thrombolyse ou Thrombectomie.  Ça ne sonne pas aussi le fun que ça en a l’air.  Le premier est un médicament qui vient lyser le sang ; le second est une intervention où on vient dans la jambe aspirer les caillots.  Les 2 cas ont un risque pour le bébé et pour moi.  L’équipe médical m’envoie en IRM où un angio-radiologue décidera de mon sort ; je texte mon entourage que je vais en IRM.  Le temps passe et je vais en IRM, cependant, la position couchée sur l’équipement aura un autre effet pour aggraver la douleur car l’artère est coincée tout le long des lectures.  À la sortie de l’IRM, personne ne me dit quoi que ce soit. « C’est le radiologue qui doit poser le diagnostic ».  Justement, je croyais qu’il était justement là, dans la salle avec vous? Me dis-je intérieurement.  Si y’a une chose que je sais, c’est que quand personne ne parle et ne sourit, c’est pas bon signe.
Je retourne à la chambre et c’est un grand bonheur de voir mon conjoint et Josée qui m’y attendent.  Je ne voulais pas que l’on vienne à l’hôpital sans avoir plus de nouvelles, mais Josée a appelé David et elle a dit, menaçant, qu’elle y allait (je pense que c’était pour qu’il sente une certaine culpabilité).

On attend le diagnostic et la médecin m’informe que l’angio-radiologue ne veut pas que l’on m’opère.  Le traitement anticoagulant devra faire l’affaire.  Avec le bébé cachant la vue lors de l’IRM et compte tenu des risques, on ne veut pas que je perde l’enfant ni me faire subir de radiation ou de chocs.  Après tout, la médecin a eu 2 cas de thrombolyses pour des femmes enceintes qui faisaient des AVC (ce qui n’est pas mon cas encore) et pour la thrombectomie, le risque d’enlever le caillot, qu’il se reforme dès que la pression sur l’artère revienne et ce, avec des radiations sur le bébé, n’est pas non plus une avenue souhaitée.  Elle me dit que l’angio-radiologue viendra me voir et qu’il pourra m’expliquer les options directement.

Entre-temps, je suis transférée au 8e, en partie car une intervention est possible, en certitude car l’aile maternité sera « short-staff » en fin de semaine.  Dure réalité de quitter le doux cocon de l’aile maternité et son personnel souriant pour aboutir à l’étage des cas plus graves (apparemment, plus on monte, pire c’est ; mon chum l’a ainsi appris en demandant à la blague à la préposée qui a fait le transfert.  Tsé, des fois, y’a des choses qu’on aime mieux ne pas savoir.)

D’une chambre semi-privée vide, j’aboutis dans une chambre avec 3 autres codétenus.  J’ai pleuré ma vie.  D’un côté, un diabétique de type 2 qui attend son amputation du pied en raison de gangrène avec 2 bocaux de bonbons sucrés et un téléphone littéralement greffé à son oreille car il fait du social à l’hôpital.  (J’ai tout appris de sa vie indirectement).  De l’autre, un homme qui a le cancer du poumon en phase très avancé et qui crache le sang.  Je compatis, mais en même temps, j’ai vraiment un dédain en allant à la salle de bain que l’on partage à 4 où les bocaux de sang sont présents et où le sang a giclé sous les murs depuis un bout, créant un éclat brun rouge sur les murs roses.  Finalement, le 3e homme vient de se faire enlever la vésicule et a la chance d’avoir beaucoup de visiteurs à son chevet durant les heures de visite.  Un vrai party.

Les nuits sont dures, le sommeil, saccadé, entre les prises de sangs aux 4 h, les tournées du personnel médical, les ronflements, rots et crachats de mes co-chambreurs et l’attente, interminable, je trouve ça dur.  Je veux sortir de là. 

La médecin m’a dit plus tôt que je pourrais ne plus retrouver l’usage de ma jambe à 100%, mais qu’ils feraient tout pour que je retrouve mes facultés.  Imaginez le drame.  C’est ce que je crains le plus, cette impotence, ne plus pouvoir marcher, faire de la randonnée, ne plus conduire, devoir dépendre à 100% des autres…  Je me dis, c’est temporaire.  Après l’accouchement (qui, by the way, sera provoqué à 37-38 semaines pour avoir les 2 équipes médicales mobilisées), j’espère que ça ira mieux, mais on n’en sait rien. 

J’aurai d’autres tests à passer, une IRM post-accouchement, un suivi aux 2 semaines et des injections à me faire pour les 4 à 6 prochains mois (même après l’accouchement).  Légère consolation, je serai un cas d’étude.  Le côté fulgurant et extensif de la chose, sur quelqu’un hyper en forme, c’est rare.  Je passerai donc l’été à voir à travers vos yeux, via les réseaux sociaux, vos paysages de montagne, vos exploits sportifs, vos sorties.  Amusez-vous.



Anecdote sur le retour à la maison
Je suis restée en tout 3 jours à l’hôpital.  Ma détermination et mon entêtement à vouloir sortir en sont en partie la cause, plus le fait que tant l’équipe de maternité que celle de médecine interne ont bien vu que la montée au 8e ne faisait que détériorer mon moral.  La pharmacienne s’est fait un sang d’encre pour me trouver les injections et je suis vraiment chanceuse que le tout ait été possible.  


Le lendemain de ma sortie avait lieu le shower du bébé, prévu de longue date et auquel une trentaine de convives ont répondus présents.  J’ai donc joué à Cléopâtre et ça a fait beaucoup de bien au moral cet événement à la maison.  Maintenant, je commence à m’adapter à cette réalité d’impotente à 38 ans.


  • Chérie, je t’ai acheté une canne aujourd’hui pour aider à te soutenir quand tu te promènes dans la maison.
  • Turquoise, cool! Peux-tu m’amener mes dents?
  • …  (Silence hésitant) Pouhahahahahahaha
  • Je veux dire, mon appareil dentaire… et m’aider à monter l’escalier pour j’aille à la chambre maintenant?
  • 38 ans…  veux-tu que je te mette une couche aussi tant qu’à faire?
  • ...


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