Le Circuit de l’Abbaye

Cette année, en congé de maternité, j’avais prévu faire plusieurs randonnées en Nouvelle-Angleterre et comme tout le monde, mes plans ont changé.  C’est sur un coup de tête que j’ai décidé d’entreprendre le circuit de l’Abbaye; je voyais le petit losange bleu caractéristique de la randonnée à tous les jours en marchant le chien.  Le circuit passe littéralement dans ma cour pour être précise.  Alors un bon jour où je me cherchais un défi de randonnée accessible à faire, j’ai lu sur le site du circuit et je me suis dit, pourquoi pas?  Il faut s’inscrire sur le site du circuit afin d’obtenir cartes, passe de stationnement et documentation pour planifier ses arrêts.  Par contre, en raison du COVID, les inscriptions sont reportées à une date ultérieure.  N’ayant pas l’intention de dormir en refuge (ni en camping), j’avais prévu de dormir à la maison à chaque jour et marcher tout simplement, en arrêtant le moins possible.  J’avais originalement prévu le faire en 4 jours (40 km par jour en marche, y’a rien là), pour me dire après la première journée que ce serait en 6 et finalement, à la 2e journée, les ampoules m’ont convaincue de le faire en 7 jours.

J’ai l’intention de narrer mon expérience ici, mais aussi d’écrire sur le trajet que j’aurais dû faire si j’avais mis plus de temps à planifier le tout.  D'emblée, j’ai adoré l’expérience, d’où mon désir de partager.

Comment ça s’est passé

Le trajet faisait originalement 152km.  Il en fait maintenant 149km car on ne passe plus par Stukely-Sud.  J’avais l’application Ondago pour me diriger et la carte ayant le trajet original, mais j’ai sciemment choisi de retrancher 2km aux environs de Potton pour éviter un tronçon passant de la 243.
A quiconque désire faire le circuit, je recommande l’achat de la carte sur Ondago car non seulement elle se lit bien, mais il est facile de connaître la progression de notre parcours tout au long de l’aventure.


Jour 1 - entre la maison et Eastman - 32km

La météo s’annonçait pluvieuse en avant-midi et ensoleillée par la suite.  C’est donc sous une pluie soutenue que j’ai amorcé la journée avec mon fidèle compagnon à 4 pattes.  Je demeure à 2km du KM20 du parcours.  Le trajet prévu pour la journée devait me faire passer par Orford, traverser le parc National du Mont-Orford, rejoindre Eastman et faire le tour du Lac d’Argent pour ensuite poursuivre vers Stukely-Sud.  L’accueil du Lac Stukely se trouve au KM32 et mon conjoint est venu récupérer le chien qui ne pouvait circuler sur le sentier traversant le parc.  C’est à ce moment que la pluie a cessé et que j’ai pu ranger mon poncho dans mon sac.  Ayant décidé de faire le trajet en autonomie et sans aller dans des commerces ni restaurants en raison du confinement, j’ai commencé la journée surchargée avec un sac à dos de 22L, plusieurs litres d’eau, des collations et lunchs ainsi que des vêtements de rechange.  J’avais décidé de porter des bottes de randonnée avec des bas pour la longue distance, soit un liner et un bas de laine de merino par dessus.  J’ai vite compris que le sol sur lequel j’allais marcher était loin de ce que j’expérimente normalement en randonnée, aussi, outre le passage par le parc sur un sentier de terra battue et pierre, j’étais surtout sur une chaussée en asphalte bien lisse.  Après 20km, le moral était très bon et j’appréciais le terrain connu d’Eastman que j’emprunte hiver comme été.


Autour du lac d’argent se trouvent quelques aires de repos, caractéristiques de la ville par les chaises Adirondacks bleues royales qui y sont dispersées.  J’ai fait une pause pour changer de bas et constater la présence d’ampoules ; mes plans de grandeur de faire plus de 40km ce jour-là se sont envolés.  J’ai poursuivi un peu plus loin pour arrêter une seconde fois pour un lunch d’humus et pains naan, qui allait être le lunch de prédilection pour la totalité de l’aventure.  Après 28km, mes pieds me faisaient de plus en plus souffrir aussi j’ai demandé à mon conjoint de venir me récupérer en chemin, entre le spa Eastman et Stukely-Sud.  Ma journée s’est achevée ainsi avec un découragement à l’idée de devoir remarcher le lendemain.



Jour 2 - de Eastman a Bolton-Centre - 23km

De retour au point d’arrêt de la veille, j’ai abandonné l’idée de performance à ce moment-là pour me concentrer sur le pèlerinage; après tout, c’est un peu le Compostelle d’Austin que je fais.  Le tracé a changé entre ce que l’on trouve sur le site web et ce qui est balisé.  Mon application Ondago me servant de repère, je décide de suivre ce tracé là.  A part à Stukely-Sud, le tracé n’a pas changé ailleurs sur le circuit.
J’étais dans l’expérimentation de l’autre extrême au jour 2 - des souliers new balance minimus, un sac d’hydratation avec réservoir de 1,5L d’eau, des barres, une paire de bas de rechange, j’entamais la journée qui s’annonçait belle et chaude avec le minimum.  En forêt, je ne partirais pas aussi léger pour une telle distance car comme on dit : « plan for the best, but prepare for the worst ».

Ici, c’est différent car la couverture cellulaire est excellente (sauf un dead zone à Bolton-Est) et c’est mon conjoint qui s’occupe de me récupérer à chaque jour.  Le plan léger s’avère le bon plan, à l’exception des chaussures qui, à cause du terrain de terre battue et de roches, ont fait mal aux pieds.  Je sentais très bien le relief de chaque garnotte comme on dit.

Du KM54 (mon départ), au KM65, ça a très bien été.  J’ai moins aimé le passage sur la 112 et j’ai compris pourquoi ce passage a été retranché du circuit redessiné.  Le nouveau tracé emprunte le sentier de la Mine des sentiers Missisquoi-Nord, très agréable en toutes saisons.  Arrivée au Lac Libby, j’ai suivi le sentier entre ce lac et St-Etienne-de-Bolton, bien que la carte faisait prendre la route plus tôt.  J’ai donc lunché au parc/halte du village au son des cloches de l’église avoisinante.  En reprenant la route, j’avais prévu me rendre à Bolton-Centre.  Je m’y suis presque rendue, arrêtant au stationnement PS-11 des sentiers de l’Estrie.  Ce stationnement permet d’aller faire les randonnées dés mont Foster et Gauvin.  Je n’ai jamais fait car les chiens n’y sont pas autorisés, par contre, j’ai utilisé le stationnement le lendemain comme point de départ, un peu avant le KM75.

J’ai à ce moment 55km complétés sur les 150 du parcours.

TRUC:
Quand on cherche sur internet des trucs pour les ampoules, on trouve des remèdes de grands-mères ou pas...  D'expérience, je sais qu'il vaut mieux ne pas les percer et j'avais amorcé le jour 2 avec des coussinets en gel sur les talons, ceux qu’on trouve en pharmacie, du moleskin collé sur les autres ampoules plantaires et les orteils.  Ce fut un lamentable échec en terme d’efficacité.  À la fin du jour 2, non seulement c’était pire que la veille, mais la douleur m’a fait arrêter le périple.  J’ai compris que les bas liner du jour 1 avaient nui par leur matériau, mais que les bas en polypropylène comme première couche avec un bas en laine de merino par dessus ont vraiment fait le travail.  J’avais aussi lu que le bain de pieds avec bicarbonate de soude aidait, aussi, à tous les soirs, je me suis trempée les pieds dans une bassine d’eau saturée en bicarbonate de soude et j’ai senti que ça apaisait.
Verdict: bas en polypropylène, bas en laine de Mérino, bonne chaussure et des bains de pieds, c'est le secret.

Jour 3 - de Bolton-Centre à Potton - 13km

La nuit a été dure, les ampoules et douleurs en général des derniers jours me découragent en ce début de 3e journée.  Jones me regarde me préparer et il est clair qu'il veut faire partie de l'aventure.  Étant partie sans lui la veille, son air penaud m'incite à l'amener avec moi (et ça me donnera une bonne défaite pour faire peu de km en raison du chien).  Je débute la marche du stationnement PS-11 et je passe par des routes de terre battues (agréables) et quelques passages sur la 243 (très déplaisants).  Le timing de la journée étant ce qu'il est, entre la sieste de bébé, la récupération des enfants de l'école et la fatigue anticipée, c'est assez tôt que je devrai arrêter de marcher, quelque part sur le chemin Schoolcraft, à Potton.  Au moment d'entrer dans la voiture, une dinde sauvage nous regarde drôlement (et je suis ravie que mon chien ne l'ait pas vu).  Je reprendrai là demain.  J'en suis à 68km.


Jour 4 - de Potton au pont couvert au sud de Potton - 23km

Jones me suivra encore aujourd'hui avec le temps frais et les points d'eau sur la route.  J'ai apprécié la matinée sur les routes de terre où j'avais arrêté la veille.  Par contre, encore une fois et encore plus vrai en semaine, la route 243 est extrêmement désagréable ; les véhicules lourds y sont nombreux, roulent vite, et je dois me mettre en sécurité largement à l'intérieur des terrains longeant la route à toutes les minutes où un de ces mastodontes routiers passe.  Arrivée à Mansonville, je décide donc de retrancher quelques km de mon trajet en passant directement par le chemin West Hill plutôt que de faire le long détour en ville.  Les parcs et attractions étant fermées par le COVID, de toute façon, j'aime mieux éviter le centre de la petite ville frontalière.  Le chemin West Hill s'avère agréable et le chemin Ruiter Brook est encore mieux.  Ce chemin longe le Brook en question et peu de véhicules y passent, ce qui rend la marche d'autant plus intéressante.  Arrivée au bout, on emprunte le chemin de la Vallée-Missisquoi qui ressemble d'avantage à une grande artère qu'à un chemin.  J'ai vu peu de véhicules lourds et l'accotement est suffisamment large pour faciliter la marche.  Je terminerai la journée près du pont couvert au sud de Potton, soit le point le plus au sud du parcours, entre le KM110 et le KM115.  91km complétés en 4 jours.


Jour 5 - du pont au Cimetière George - 18km

J'ai décidé d'amener bébé aujourd'hui.  L'absence de sa mère pour de longues heures, 4 jours en ligne, en a fait un bébé grognon qui boit peu dans le jour (malgré une réserve importante de lait maternel au congélateur).  Jones restera à la maison car gérer les 2, ça ne me tente pas.  Les 10 premiers km qui me mènent au cimetière Owl's Head ont été faciles, le terrain a été fraîchement remblayé avec un mélange de pierres et de terre.  Les employés municipaux m'avisent à mi-journée qu'un camion-citerne passera bientôt.  Ce camion étant du magnésium liquide afin de diminuer la formation de poussière.  J'ai appris quelque chose aujourd'hui en plus de m'apercevoir de l'efficacité immédiate dudit liquide répandu.  La carte annonçait une halte routière non loin du cimetière, par contre, aucune halte à vue quand j'arrive au coin.  J'ai un bébé qui s'impatiente et pas d'endroit propice pour manger.  Qu'importe, je m'installe au coin d'une rue et nous avons mangé et pris une pause méritée.  Ella a retrouvé sa routine habituelle en terme de siestes, repas et collations.  Le chemin Owl's Head est asphaltée et arrivée à l'intersection Vale Perkins, c'est sur le chemin du Lac que je poursuis la marche.  Passée le Magasin général Jewett, il faut tourner à gauche par le chemin Peabody et rejoindre le chemin de l'Étang Sugar Loaf.  J'aurai donc fait 18km en poussant bébé aujourd'hui.  Je suis contente d'avoir franchi le cap des 100km, allant jusqu'à 109km.

Jour 6 - de l’Abbaye à l’Etang Sugar Loaf - 18km

Pour cette avant-dernière journée de marche, je préfère laisser ma voiture au stationnement de l'Abbaye et faire le chemin inverse vers mon point d'arrêt de la veille.  La voiture demeurera à l'Abbaye et nous irons la récupérer le lendemain en famille, en partant de la maison à pieds.  

Le trajet de l'Abbaye suit le chemin Fisher et passé le marché Austin, on poursuite sur le chemin Millington.  Ça évite ainsi de prendre le chemin Nicholas-Austin, mais ça n'empêche pas un passage par le chemin Cooledge, similaire à la route 243 en terme de flux routier avec des accotements larges par contre.  Je croise plusieurs cyclistes qui me sourient en me voyant pousser bébé.  

Étang Sugar Loaf

Le chemin de l'Étang Sugar Loaf est en terre battue et pierres.  Un chevreuil a été surpris dans son lunch de mi-journée par des cris stridents d'un bébé affamé.  Silencieuse depuis le début de la journée, elle s'est réveillée en cris par un désir que seul bébé connait mais rapidement comblé dans un champ sur le bord de la route.  Repue, avec une couche bien sèche et contente de jouer dans l'herbe, j'ai aussi pris une pause.  Le trajet a été excellent jusqu'à l'Étang, que je qualifierais de lac de par son étendue.  Je comprends que tant de gens y ont mis des chalets en bord de lac et je n'aurais pas cru voir ce paysage si près de la maison.  J'ai fait 127km et je sais que les 23km restants sont faisables en 1 journée demain.


Jour 7 - de la maison à l’Abbaye - 23km

Aujourd'hui nous entamons le dernier tronçon du parcours ; enfants à vélo, chiens en laisse, bébé dans la poussette, conjoint et moi à pieds.  Il fait frais pour juin avec une température autour de 10 degrés.  Les chemins Miletta, Hopps et North sont plutôt passants bien que les gens qui vont normalement à St-Benoit du Lac ou Austin passent majoritairement par le chemin des Pères.  Arrivés au chemin Shuttleworth, nous serons seuls et aucun véhicule n'est passé pendant notre marche de 4km sur cette rue.  


Le passage par le chemin Nicholas-Austin est court avant de rejoindre le chemin Taylor avec des points de vue des montagnes de l'Estrie, de Orford à Owl's Head.  La montée est par contre dure pour tout le monde.  On est content de rejoindre le chemin Millington, prenant une pause à l'intersection ; il nous reste que quelques km à parcourir.  On fait une pause repas au parc Austin et rendus au chemin Fisher, nous savons que le but est à notre portée.  2km restants qui n'en finissent plus.  Les enfants n'avaient jamais fait autant de km à vélo dans la même journée, mon chum a des ampoules du diamètre d'une balle de golf, les chiens sont fatigués et c'est avec les doux effets de l'endorphine post-sport que la famille a fini la journée en mangeant une poutine de Chez Paul, avec du Kir abbatial de l'Abbaye pour les adultes.

J'ai complété les 150km du Compostelle d'Austin ; mon chien en a fait 68km et j'avais un bébé avec moi pour 58km.  Je n'étais pas seule, bien entourée, et ravie d'avoir fini l'aventure, me promettant d'écrire sur l'expérience, mais aussi sur ce que j'aurais pu faire.