La journée la plus longue, ou, l'histoire d'un très long défi

Par un samedi de juillet 2015, pendant que la plupart des humains normaux se demandent ce qu’ils mangeront pour souper, quel maillot de bain ils porteront à la plage ou à la piscine et s’ils iront faire un tour de machine, certains téméraires prêts à affronter tous les intempéries marchent en forêt durant cette journée qui ne finissaient plus…

Mais d’abord, récapitulons.

Réveil
Il est 3 :06 du matin lorsque les alarmes de mon cellulaire, de ma tablette et du réveil de la chambre sonnent au diapason.  (Se lever si tôt, ça mérite une validation supplémentaire des gadgets électroniques.)  Je réveille ma partenaire de chambrée et vais me fouetter le sang un peu dans la douche avant d’enfiler mes vêtements de randonnées et bottes.  Je mets l’eau dans le sac, vérifie une 20e fois le contenu du sac pour m’assurer que tout y est et je mets le tout dans la voiture.

La chambre mitoyenne est aussi active que la nôtre puisque ses occupants font partie du groupe de randonneurs s’apprêtant à faire la Présidentielle. 

 À 3h45, tous les randonneurs sont prêts ; les voitures démarrent et nous rejoignons le stationnement de la route Appalachia, située sur la 2, près de Gorham.
Nous commençons notre périple à 4h, frontales activées puisqu’il fait nuit et que la plupart des humains normaux dorment (ou vont se coucher…).

Après quelques arrêts pour valider la carte, une « malfunction » de ma frontale, et des ajustements d’usage, du Valley Trail, nous atteignons le Watson Path qui nous mènera au Mount Madison.  La température est fraîche, il « bruine » un peu et les premières lueurs du jour commence à poindre à l’horizon. 

James Madison
James Madison Jr a été le 4e Président américain ; il a officié du 4 mars 1809 au 4 mars 1817.  Il est reconnu pour son rôle clé dans la rédaction de la Constitution des États-Unis (on dit de lui qu’il en est le père) et il est l’auteur du « Bill of Rights » ou Déclaration des droits et libertés.  

« A man has a property in his opinions and the free communication of them »
- James Madison


Le Mont Madison, avec ses quelques 5,367 pieds est le sommet le plus au nord de notre périple, le 5e plus haut du New Hampshire et l’un des plus rocailleux, roches qui dominent à partir du moment où l’on sort de la forêt.  Je l’avais fait dans le passé, me disant que je n’avais aucun désir de le refaire jamais, mais il est sur la liste aujourd’hui et comme Antoine dit : « On fait le plus dur en partant », ce à quoi Véronique répond « Les roches, c’est dur » et s’ensuit une franche rigolade, un peu jaunasse par contre.
Il vente et pleut au sommet et on se dit que ça pourrait être pire, au moins, il n’y a pas de typhon. (Yé!)
Après une photo d’usage, nous redescendons par l’Appalachian Trail pour aller au refuge Madison Spring hut.
L’arrêt sera bref ; la journée s’annonce longue et nous sommes déjà en retard sur l’horaire. Direction Adams.


John Adams

John Adams a été le 2e Président américain, de 1797 à 1801 et le père de John Quincy Adams, 6e Président américain.  Avec Thomas Jefferson, Benjamin Franklin, Robert R. Livingston et Roger Sherman, il a fait partie du Comité des 5 responsables de la rédaction de la Déclaration d’Indépendance.

« Liberty cannot be preserved without general knowledge among the people.”

- John Adams

Le Mont Adams, 5793 pieds, est la 2e plus haute montagne du Nord-Est des États-Unis.  Comme sa voisine Madison, son sommet est rocailleux, aussi, mais la distance entre le refuge et le sommet n’est que de 1.6 km et notre motivation est encore élevée et rapidement, nous atteignons le 2e sommet de notre journée.

Thomas Jefferson


Thomas Jefferson a été le 3e président, de 1801 à 1809 et auteur principal de la Déclaration d’Indépendance.  Il a acheté la Louisiane en 1802 à Napoléon 1er.

"Do you want to know who you are? Don't ask. Act! Action will delineate and define you."
- Thomas Jefferson

Le Mont Jefferson est la 3e plus haute montagne du Nord-Est avec 5712 pieds. 

Encore sous une bruine et avec une visibilité réduite (on voit à peine à 10 pieds devant nous), notre groupe marche vers le sommet en empruntant le Gulfside trail. La vue d’un labrador noir sur le sentier me fait immanquablement penser à mon fidèle compagnon qui n’est pas de l’aventure et malgré cette pensée, je me dis que ça aurait été difficile, ces roches, pour lui.  



Georges Washington

Georges Washington est le Premier Président américain, considéré comme le père de la nation, et a officié de 1789 à 1797 ; c’est son visage que l’on voit sur les billets de 1$.  

“It is far better to be alone, than to be in bad company.”
- George Washington

C’est le plus haut point du Nord-Est avec 6288 : le Mont Washington, reconnu pour avoir mesuré des vents de 231 km/h qui a été un record mondial au 20e siècle (avant le Cyclone Olivia qui a atteint des vents de 254km/h) et se targue d’avoir les pires conditions météorologiques de la planète.  La montagne était précédemment appelée Agiocochook, ou Maison du Grand Esprit, par les Abenakis. 
Après la descente du Mont Jefferson, nous prenons le Jewell Trail (que j’avais d’ailleurs pris la semaine précédente).  Je suis reconnue pour avoir un très mauvais sens de l’orientation.  Sur le chemin du sommet, on doit théoriquement longer la voie ferrée du Cog Trail et rejoindre le sentier du sommet.  Dans mon souvenir, le parcours sur la voie n’est pas très long, par contre, nous traversons la voie ferrée un peu vite et nous ramassons dans un non-sentier…  Après plusieurs minutes où je m’auto-flagelle intérieurement et où je sens monter l’impatience de mes comparses, Antoine, homme de la situation dotée d’une montre GPS, nous guide vers le bon sentier et nous sommes au sommet quelques minutes plus tard.

Je ne suis pas particulièrement fan de chili, mais celui du Mont Washington, à 4USD la portion incluant le pain, est assez dur à battre niveau comfort food.  Le lunch est bienvenu, il fait chaud dans la station et les guides nous encouragent à reprendre la route rapidement pour éviter les orages.  Après un changement de vêtement et l’achat d’une frontale dans mon cas, nous reprenons donc la route qui nous mènera au refuge "Lake in the clouds".

Le sentier Crawford Path que nous suivrons du Mont Washington au Mont Pierce est à mon avis, le plus beau sentier des Montagnes blanches, avec des vues 360 et un parcours de terre battue accessible.

James Monroe


James Monroe a été le 5e Président américain, a fait son service militaire avant d’étudier en droit et a officié de 1817 à 1825.  Fait intéressant sur Monroe : la capitale du Liberia, Monrovia, a été nommée en son honneur pour avoir soutenu la fondation de colonies en Afrique pour les Afro-Américains libres.

"A little flattery will support a man through great fatigue."
- James Monroe

Faisant 5372 pieds de haut, Monroe est le 4e plus haut sommet des Montagnes blanches.  
À ce moment de la journée, on a finalement plus de montagnes derrière nous que devant et le temps finit par s’éclaircir.  Après plusieurs heures de pluies, de bruine, de nuage et une pensée toute spéciale pour les orages potentiels, le soleil fait du bien.  Mon but est de finir le défi et ça va bien à date.   
C'est après Monroe que les choses se corsent.  Encore une fois, mon sens de l'orientation fait des siennes et j'enligne le groupe vers le mauvais sentier pour atteindre Eisenhower.  Mettons que je ne me sens pas très hot rendue là.  On a simplement manqué les indications pour prendre la route du sommet et le détour de 500m est lourd sur le moral du groupe, pas tant pour les 2 marathoniens pour qui la journée semble être une balade dans le parc, mais sur les filles.

Dwight Eisenhower

Dwight David "Ike" Eisenhower a été le 34e Président américain, de 1953 à 1961 et dernier à être né au 19e siècle.  Ike était général de l’armée lors de la Seconde Guerre Mondiale.  Fait peu connu, il demanda sa femme en mariage le Jour de la Saint-Valentin de 1916.

“Motivation is the art of getting people to do what you want them to do because they want to do it.”
- Dwight D. Eisenhower


Quand on finit par trouver le chemin, encore une fois, grâce au GPS dont on épargne la batterie dans un but qu'elle dure au moins jusqu'au soir, le ciel est bleu et le tas de roches est notre récompense ; le sommet de Eisenhower, c'est vraiment un gros tas de roches et nous n'avons pas une superbe vue.
Bien que nous avons atteint 6 des 8 montagnes "officielles" de notre journée et malgré les commentaires des gars comme quoi "le pire est fait", on sent une baisse de motivation et d'énergie du groupe.  Par contre, il est vrai qu'il ne reste qu'à rejoindre Pierce via le Crawford path, ensuite un arrêt au Mizpah hut et finalement, Jackson qui est la dernière montagne de la journée.
Eisenhower est la 11e plus haute montagne du New Hampshire avec ses 4780 pieds.

Franklin Pierce

14e President, de 1853 à 1857, jugé comme étant l'un des pires présidents que les États-Unis aient connu selon les historiens de son pays, il n'a pas brillé par ses positions au niveau de l'esclavage...  Natif du New Hampshire, il en fut Sénateur et y a passé une grande partie de sa vie, ce qui explique qu'on ait attribué son nom à ce sommet, précédemment appelé Mont Clinton, en l’honneur du gouverneur DeWitt Clinton.

"Frequently the more trifling the subject, the more animated and protracted the discussion."
- Franklin Pierce

Le chemin vers Pierce se fait en silence.  Nous croisons un groupe de marcheurs qui fait également la traversée ; ils ont bifurqué comme nous au mauvais endroit sur la montée vers Eisenhower et ont dû retourner sur leurs pas pour atteindre ce sommet.  On voit qu’ils avancent rapidement et nous savons qu’ils vont nous dépasser plus loin, aussi, nous pressons l’allure.
Pierce fait 4310 pieds, est le 27e plus haut sommet de l’État et n’a pas de vue particulièrement notable.  

Arrivés au sommet, on est fatigué et on en oublie la photo « officielle » ; un des randonneurs nous rappelle à l’ordre, on prend la photo et on repart vers le refuge pour une autre pause méritée et un accès salutaire aux installations sanitaires de l’établissement…


Charles Thomas Jackson


Contrairement à la croyance, le Mont Jackson n’a pas été nommé ainsi en l’honneur du  7e président américain, Andrew Jackson, mais plutôt en l’honneur d’un géologue de cet État, Charles Thomas Jackson.  La montagne est la 38e plus haute de cet état avec ses 4052 pieds.

Après un ravitaillement au refuge, Julie et moi sommes positivement motivées à atteindre le dernier sommet.  Pas question qu’on refasse ce défi.  Jamais.  Il faut qu’on reprenne la route rapidement si on veut finir aujourd’hui.
Par contre, pour mon amie Valérie, pas question de continuer.  Elle est prête à dormir dans le bois s’il le faut.  Ses jambes ne répondent plus.

Les gars se concertent.  Ils ont tous fait la randonnée déjà aussi, face à la tangente que le groupe veut prendre de se séparer pour la suite, ils proposent que Julie et moi, accompagnées d’Antoine, nous continuions, pendant que les 2 autres accompagneront Valérie vers le stationnement.
Après tout, Jackson n’est pas président et Valérie a déjà fait ce sommet.
Je me sens prise de culpabilité d’être une mauvaise amie et de ne pas accompagner Valérie, mais en même temps, « c’est pas vrai que je vais redescendre maintenant et dire que j’ai « presque » fait la présidentielle », me dis-je.  (Ce souvenir me hanterait et je devrais immanquablement refaire le défi.)
Gonflés à bloc, prêts pour continuer, on repart et le trajet vers Jackson est anormalement rapide.  

Il est déjà 20h et on veut redescendre rapidement avant que les dernières lueurs ne disparaissent dans un ciel qui sent l’orage.


Malgré qu’il ne reste que 2.6 miles à faire via le Jackson Brook et le Webster-Jackson trail dans notre descente, ce chemin est particulièrement rocailleux et éprouvant.  Ça nous prend près de 3h pour parcourir le sentier en raison de la noirceur et de la pluie.  La fatigue dans les jambes se fait sentir et il est sage de prendre notre temps car il y a peu de chance que quelqu’un passe par là pour nous aider si l’un de nous se blesse.
À chaque 10 minutes, j’hallucine qu’on arrive à la route.  Avec l’écho dans la vallée, on entend bien les véhicules et j’ai toujours l’impression qu’on arrive.  Je rêve même de lampes frontales en bas qui viendraient nous chercher.  
La pluie qui a d’abord commencé timidement, est maintenant diluvienne, mais on s’en fout.  On veut sortir du bois au sens littéral du terme.
Quand finalement je vois les lumières du VUS d’Antoine en bas, je n’y crois plus.  Nos amis sont là, à nous attendre.  On lance les sacs dans l’auto, on embarque et on retourne à notre point de départ.  Enfin, c’est terminé.  Il est 23h.
Éric mentionne qu’on « ne pue pas tant que ça finalement »,  avant de se raviser quelques secondes plus tard.  Sur le chemin de la 302, je m’endors, fière, coupable par rapport à l’abandon de mon amie et en me disant que vraiment, je ne dois pas être normale de m’imposer de telles épreuves… (Je suis folle oui, comme dirait Éric)

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